Howard Barker

(1946-

 

Naissance à Dulwich

bibliographie en anglais

 

2007-2008 : Loth et son Dieu

xxxxxxxxxLe Cas Blanche-Neige

xxxxxxx Gertrude (Le Cri)

1997 : Les Européens

1990 : Les 7 Lears

1989 : Tableau d'une exécution

Même génération
qu'Edward Bond et Harold Pinter

à l'Odéon en 2009

L’Espace de la catastrophe

Peintre, metteur en scène, Howard Barker est l'auteur de plus d'une soixantaine de pièces de théâtre, quelques six recueils de poèmes, deux ouvrages théoriques, un opéra, une pièce pour marionnettes, etc. Si, comme ses aînés Edward Bond, John Arden ou encore Harold Pinter, Barker est nourri de Shakespeare, de Tchekhov et de Beckett, et sans doute aussi des théories d'Edward Gordon Craig, d'Artaud ou de Brecht, il n'a que peu marché sur leurs traces. Il s'est désolidarisé de ses contemporains immédiats : Howard Brenton, David Hare ou David Edgar et de leurs entreprises ouvertement politiques et souvent militantes.

Partisan d'un théâtre exigeant qui enfin traiterait le spectateur en adulte et cesserait de l'abreuver de recettes à penser, refusant toute doxa, poète surtout, Barker place le langage au centre d'une forme dramatique nouvelle qu'il veut adaptée à dire la complexité de l'homme : le théâtre de la Catastrophe. Ce concept s'attache à retravailler le genre, devenu obsolète, de la tragédie. c'est donc autour d'un double enjeu, à la fois poètique et philosophique, que le théâtre de la Catastrophe s'élabore, non pas tant comme un lointain écho du "théâtre de la cruauté" d'Artaud, mais comme une dramaturgie dont les orientations, et c'est l'objet de ce volume de le montrer, sont radicalement originales.

Longtemps considéré comme l'enfant terrible du théâtre anglais contemporain, Howard Barker a peu à peu assis sa réputation de dramaturge aux pièces "à catastrophes". Fortement marqué par la période de l'après-guerre, Howard Barker écrit sa première pièce en 1970. Associé un temps au théâtre politique du Royal Court de Londres, il fonde sa compagnie en 1987 avec sa troupe, The Wrestling School. S'interrogeant sur l'esthétique et l'éthique, Howard Barker parle du monde après Auschwitz. Ainsi Les Européens, La Griffe ou Brutopia oscillent entre fables et épopées. Partant sur une dramaturgie séquentielle construite autour d'une thématique - la guerre, le visage, les objets... - le théâtre d'Howard Barker a quelque chose de shakespearien avec la recherche constante du terrifiant comme du beau dans l'âme humaine, où les êtres se débattent avec l'Histoire dominante, ballottés entre rationnel et l'irrationnel, où raison et pulsion cohabitent, transcrivant sa conception de la tragédie moderne.

Avec Barker on est de plain-pied dans un théâtre qui se situe au coeur de la crise spirituelle et morale (et donc esthétique) d'un monde qui a bien du mal à renaître des grands traumatismes de la seconde moitié du XXème siècle (Und, Found in the Grund), traumatismes qui ont permis de penser l'homme comme inhumain, de penser qu'en tout homme existe un bourreau et que le lieu de l'inhumain ne peut être que l'humain. Ses préoccupations - comment penser l'humain et ses limites, comment représenter l'homme aux confins de l'humanité, l'homme extrême - montrent que Barker travaille au dépassement de l'impasse éthique et de l'aporie esthétique qui résulte du monde décrit par Adorno comme le monde de l'après-Auschwitz. Les pièces que Barker écrit à la fin des années 1980 sont sous-tendues par des interrogations presque obsessionnelles : toute représentation de l'horreur n'est-èelle pas esthétisation de l'inhumain ? Comment continuer à utiliser un langage qui était le propre d'un monde humaniste, alors qu'à l'évidence on en est sorti ?

La réflexion éthique est indissociable chez Barker de la recherche esthétique d'une forme nouvelle. Devant le constat de la nécessité d'une forme neuve pour dire l'homme qui a découvert sa non-humanité, l'homme « qui vient après » (cf. Georges Steiner dans Langage et silence), Barker s'emploie à inventer un nouveau langage de la scène, un nouveau théâtre à l'image de la couleur que le tisserand (dans The Possibilities) ou la femme peintre (Galactia dans Tableau d'une exécution), doivent inventer : « Il me faut inventer un nouveau rouge pour tout ce sang. Un rouge qui pue », dit Galactia tandis que le tisserand s'émerveille : « Regarde, dès que ce sera sec, nous aurons un rouge nouveau. Je sens bien que c'est un rouge nouveau ». Cet homme de l'après est complexe, trop complexe pour qu'aucune forme théâtrale déjà répertoriée parvienne à l'exprimer. Le postmodernisme s'est occupé de rendre caducs tous les modes de représentation : Barker ne pourra s'engager ni sur la voie de la comédie (à laquelle il renonce assez tôt en dépit d'un véritable talent comique), ni sur celle du théâtre politique brechtien, ni même dans le sillage du théâtre de la dérision beckettien, pas plus que dans celui de la tragédie classique aristotélicienne, parce qu'elle console avec sa promesse de retour à l'ordre : « ... Le théâtre de la Catastrophe est plus douloureux que la tragédie, car la tragédie console avec un retour à l'ordre, avec la réaffirmation des valeurs morales existantes » (Arguments for a Theatre)

La dramaturgie de Barker est « catastrophique » au sens étymologique du terme, c'est-à-dire qu'elle se propose comme une dramaturgie du renversement, non pas d'un renversement ui affecterait la diégèse comme l'entend Aristote (la catastrophe renverse le bien en mal), mais d'un renversement des modèles. Le théâtre de la Catastrophe, c'est donc un théâtre qui avant tout ne ressemble à aucun autre, un théâtre qui se construit contre tous les types de théâtre qui existent déjà. Le théâtre de la Catastrophe s'élève essentiellement contre le modèle aristotélicien et contre le modèle brechtien : s'il n'y a pas de purgation des passions dans ce théâtre, pas de catharsis, il n'y a pas non plus de distanciation : le théâtre se donne comme expérience viscérale avant d'être intellectuelle (Barker invite les acteurs en répétition à « s'engager dans l'émotion de manière absolue et extrême »).

Ce théâtre de la maturité devient plus sombre encore que celui de la période précédente : l'humour y est plus cynique et s'appuie sur des ressorts qui relèvent toujours plus de l'abjection et du nauséeux aue du grotesque. le recours à l'histoire (Victory, The Castle, Hated Nightfall) et aux grands mythes bibliques et antiques (The Last supper, The Bite of the Night) y est constant.
Il va s'agir, pour le spectateur « catastrophique », de désapprendre ce qui lui a été inculqué, de renoncer à la morale toute faite pour enfin être en mesure de vivre « l'expérience de l'art » (et c'est d'abord en ce sens que le théâtre de Barker est expérimental), une expérience sans retour (pas de catharsis), une expérience à la foi subjugante et traumatique dont on ne ressort pas indemne : « Mais c'est le travail de l'artiste d'être brutal. Préserver la brutalité, voilà ce qui est difficile », dit Galactia dans Tableau d'une exécution.

Observant sa timidité d’enfant, la mère de Barker, qui s’inquiétait pour lui, l’exhortait à maîtriser l’art d’être sociable, à s’intégrer à « la bande des garçons », à devenir comme eux... Elle connaissait depuis toujours la puissance du collectif masculin, mais il préférait la compagnie des femmes, jeunes et vieilles... quand Barker tomba dans le théâtre – un lieu où le collectif des garçons ne cesse jamais d’exercer une autorité dominatrice – elle tenta de lui acheter son premier texte pour éviter qu’il soit mis en scène...
Dans son enfance, il entendait ses cris sexuels à travers la cloison de carton... son lit se trouvait contre la cloison et lui se tourmentait dans l’obscurité, elle devait être malade ou faire de terribles cauchemars... pourquoi est-ce que son père ne la réconfortait pas... ? Sans répit cette contradiction le blessait... plus tard le cri de la femme devint pour lui une chose d’une signification infinie, ce qu’il est pour tous les hommes plus ou moins... et la base philosophique de sa plus grande pièce...
Il porta les cendres de son père dans les rues où il avait passé toute sa vie...
Après la mort de sa mère il ne visita plus jamais les quartiers sud de Londres...

Extrait d’Eduardo Houth, A Style and its Origins (Un Style et ses origines), Londres, Oberon Books, 2007, pp.18-19 (trad. D. L.).


Premièrement s'aimer soi-même

Lvov. - Rapprochez-vous, ceux dans le fond ! Ceux au fond, filez par là ! Et la voix ! La voix qui part ! Pour m'entendre vous devez à peine respirer. Celui qui tousse n'est pas engagé, tous les tousseurs seront étouffés par leurs voisins, vous leur volez le droit d'entendre, vous les volez, shh ! Comme c'est rare, si rare d'entendre un professeur, puisque les professeurs sont tous morts, les professeurs et les poètes sont tous morts, au lieu de ça nous acclamons les acteurs, les génies qui posent devant les caméras, comme ils sont à l'aise et charmants, ce charme qui ne prend pas une ride sera notre mort, seulement la catastrophe peut nous garder propres.

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